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Beauté et laideur : les aléas du diktat du paraître

Il est fascinant de constater les différences de beauté entre les cultures. Ce qui est beau et belle est corollaire, d’une part, des éléments intrinsèques à cette culture et qui se sont transmis au fil du temps. D’autre part, c’est la place que cette culture occupe par rapport aux sociétés voisines qui détermine, en partie, ce qui est beau et belle. Selon l’historienne Kyo Cho, la notion de beauté se comprend selon un rapport de pouvoir. Une société en position d’autorité influencera les autres cultures avoisinantes qui, en état de domination, perçoivent l’idéal de beauté du dominant comme désirable[1].

L’idée développée par Kyo Cho est très pertinente comme grille d’analyse historique, mais aussi actuelle. Aujourd’hui, face à une mondialisation effrénée, la notion de beauté devient elle aussi mondiale. La beauté actuelle, plus ou moins uniforme, provient du monde occidental, et plus particulièrement des États-Unis. C’est par la transmission de sa culture dominante et d’un modèle de société enviable que le beau et la belle sont devenus semblables, constants et relativement monotones. À mon sens, il y a une diversité du beau et de la belle qui s’est perdue à travers les âges. Que ce soit par l’habillement, la grosseur du corps ou encore la modification physique de ce dernier, les pratiques esthétiques et leurs significations culturelles étaient beaucoup plus hétéroclites auparavant.

Ce qui est beau et attirant ne se limite pas uniquement à une notion physique, mais englobe aussi une multitude d’autres aspects qui s’inscrivent dans l’aura d’une personne. Voir ici sa personnalité, sa façon d’agir, de s’exprimer, ses gestes et mouvements, son rire, etc. Tant d’éléments, disons intrinsèques à la personne qui se jumellent à son apparence et c’est la somme de ces éléments qui détermine si une société juge une personne belle. Par exemple, la modestie et la pudeur furent longtemps des synonymes de beauté chez les femmes, car elles accentuaient une féminité que l’on voulait faible et fragile.

Mon voyage à Taïwan fut une occasion pour moi de tester ce que je croyais être beau ou belle. S’il existe plusieurs ressemblances avec la société occidentale, particulièrement au niveau des vêtements, d’autres m’ont plutôt surpris. En ce qui concerne les couples hétérosexuels, j’ai eu l’impression que le vieux cliché hommes protecteurs-femmes fragiles est encore relativement courant. De plus, les filles, par une série de gestes et de comportements, sont incitées à performer cette féminité délicate et un peu enfantine. Il n’y a pas de doute à mon avis que l’influence du Japon et de la notion de kawaii (可愛 en mandarin) est largement tributaire de ce fait.

D’autres aspects plus légers ont attiré mon attention. Je pense notamment à cette poudre de teinte rougeâtre que les filles appliquent près des yeux pour rehausser leur regard, ou encore les cheveux courts « à la garçonne » qui sont d’ailleurs assez répandus en Asie. Concernant la taille, un corps féminin petit et menu est généralement très apprécié. Cette exigence est toutefois imposée de manière plus directe qu’en Occident. Plusieurs de mes amies ont mentionné qu’elles avaient de la difficulté à trouver des vêtements à leur taille, alors qu’elles n’étaient pas du tout en situation de surpoids. Ce rapport au corps féminin me semble plus sévère qu’ici, où les nombreux mouvements d’acceptation du corps ont sans doute joué pour beaucoup.

Le teint pâle de la peau est religieusement conservé des attaques sournoises du soleil puisque le bronzage est associé au monde rural et plus généralement à la pauvreté. Les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles avaient déjà noté cette prépondérance. Pour préserver cette blancheur, les femmes, mais aussi quelques hommes se baladent avec une ombrelle même en temps de chaleur (et Dieu sait à quel point il fait chaud à Taïwan).

La masculinité est également différente. Niveau beauté, bien des éléments de mode issus du monde occidental se retrouvent à Taïwan, notamment au niveau des vêtements et des coupes de cheveux. Toutefois, les poils faciaux ne sont généralement pas appréciés, et rares sont les hommes qui portent une longue barbe. J’attirais, bien contre mon gré, les regards avec ma moustache bien fournie. Le maquillage pour homme est plutôt commun, héritage cette fois-ci du monde coréen et de la K-pop.

Si l’on reprend l’idée de Kyo Cho, le fait que je suis en mesure d’apprécier l’idéal de beauté taïwanais s’expliquerait par le fait que ma société, (disons occidentale au sens large), par son rapport de force dans la région et son histoire suscite l’intérêt des locaux par sa mode et son idéal de beauté dominant. Cette idée me semble totalement justifiée, surtout lorsque l’on considère que les différences entre les sociétés demeurent dans un spectre semblable. J’apprécie que, dans un sens, cette mondialisation sujette à de légitimes critiques, m’ait permis d’entrer aisément en contact avec des gens de l’autre bout du monde en raison d’une similarité des codes sociaux. J’apprécie que, l’espace d’un instant, la douceur d’un regard ait suffi à disperser un brouillard d’émotion dans un voyage parfois amer.

[1] Kyō Chō, The Search for the Beautiful Woman: A Cultural History of Japanese and Chinese Beauty, Lanham, Rowman & Littlefield, 2012, p. 4-5.

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